« De plus en plus d’entreprises veulent contribuer à l’intérêt général »

23 Juin 2021

L’engagement sociétal des organisations est un phénomène bien enclenché, qui va bouleverser les modèles et la relation à l’entreprise, estime Bruno Morin (*), expert et consultant en RSE. Un cercle vertueux, compatible selon lui avec la performance économique.

Bruno Morin
Bruno Morin est consultant, Dirigeant du Cabinet Ecovolution et responsable « Développement & Coordinateur RSE » pour l’agence Seine-Maritime Attractivité. © David Morganti

On parle de plus en plus d’engagement sociétal des entreprises. Le phénomène est-il durablement enclenché ?

« Nous sommes à un moment charnière. J’observe, surtout depuis quelques mois, que beaucoup d’entreprises veulent contribuer plus activement à l’intérêt général. La tendance s’accélère, elle n’est plus seulement le fait de quelques entreprises avant-gardistes.
Il y a une accélération parce que les jeunes diplômés sont assez attentifs à ce qui se pratique au sein des entreprises, mais c’est également le cas des citoyens et des consommateurs. Ce qu’on attend aujourd’hui des entreprises, ce n’est pas tant qu’elles s’engagent, mais plutôt qu’elles en donnent les preuves. »

Le contexte covid a-t-il été un accélérateur ?

« Sans doute. Certains chefs d’entreprises pensent que c’est justement en période de crise qu’il faut prendre du recul et se poser des questions sur son fonctionnement. Certes, changer, évoluer ou s’adapter peut occasionner des coûts, mais il faut garder à l’esprit que ces coûts éventuels seront toujours bien inférieurs au surcoût que l’on aurait à supporter si l’on ne faisait rien, si l’on restait sur le statu quo. La pire attitude, face à une crise, est de ne pas chercher à s’adapter et à anticiper en prévision d’autres crises. »

Le mouvement va-t-il s’amplifier  ?

« Pour moi c’est inévitable. La RSE va continuer à s’imposer au niveau stratégique et va faire partie de la réflexion sur la transition des entreprises. On parle de plus en plus de raison d’être, et d’entreprise à mission… Je crois, et je ne suis pas le seul, que les entreprises qui continueront à faire des profits demain seront celles qui apporteront un profit à la société. C’est déjà bien intégré par les dirigeants. 

« Même si la terminologie de la RSE n’est pas encore toujours bien comprise, on sent que les entreprises, et même les territoires, l’intègrent de plus en plus dans leur réflexion. L’Etat ou la Région s’emparent du sujet, à l’instar du Ministre de l’économie Bruno Le Maire, qui en est désormais un fervent partisan. Et quand on progresse sur ce chemin, il est très difficile de revenir en arrière. »

Avec une démarche RSE, on est vraiment dans le « faire » plus que dans le « dire » ?

« Une stratégie RSE, c’est du pragmatisme. Elle permet de mettre en place de manière concrète un fonctionnement à la fois efficace et vertueux, dans un cadre et une terminologie commune, codifiée par la norme internationale ISO 26000.

L’intérêt de la RSE c’est de réviser le fonctionnement de l’entreprise, de la refonder sur la base de valeurs, d’activités et de modèles d’affaires plus durables. La prise en compte des questions sociales et environnementales y est formalisée. Le tout passe par un travail d’introspection et d’analyse. »

C’est donc une remise en question profonde, avec une grande part d’autocritique ?

« C’est exactement ça. Je dis toujours que la RSE c’est un voyage sans fin, un processus d’amélioration continue. Les priorités d’une entreprise aujourd’hui n’étant pas forcément celles de demain, il y a toujours matière à s’interroger sur les moyens de s’améliorer, dans son intérêt et aussi celui de son territoire, qui est forcément partie prenante.

C’est également un vrai investissement. Une entreprise qui souhaite s’engager et formaliser une démarche RSE va d’abord devoir faire son diagnostic, le plus souvent avec un organisme tiers indépendant. Après l’état des lieux de son fonctionnement, il lui faut formaliser ses engagements, à travers un plan d’action structuré dans lequel apparaissent des objectifs et idéalement des comptes à rendre. »

Pourquoi les entreprises ont-elles intérêt à s’engager dans une telle stratégie ?

« D’abord parce qu’une entreprise ne peut plus performer dans son coin sans tenir compte de son écosystème. Elle doit s’ouvrir et entendre les attentes.
Une démarche RSE génère plusieurs types de bénéfices. D’une part la réduction des coûts : en essayant d’optimiser son fonctionnement, on peut réduire par exemple sa consommation énergétique ou ses coûts de logistique. Elle connecte également l’entreprise aux tendances et aux aspirations des parties prenantes.

D’autre part, la RSE permet de réduire son exposition aux risques. Elle impacte le business model, et stimule la création de nouveaux produits en étant à l’écoute des tendances. Et puis c’est un travail sur la durée, qui permet d’impliquer les équipes, de favoriser l’engagement et aussi d’améliorer la productivité. »

C’est une composante indissociable de la performance ?

« Oui, si je me réfère à l’avis des dizaines d’entreprises que j’ai accompagnées ces dernières années. Leur quête d’engagement sociétal leur a parfois permis de se réinventer et de maximiser leurs performances.
En 2016, la plateforme RSE, qui fixe les grandes orientations de l’Etat, des politiques publiques mais également des entreprises en matière de RSE, a piloté une étude auprès 1800 entreprises, qui prouvait le lien entre RSE et performance économique. Il en ressortait que les bénéfices des entreprises qui prenaient en compte la RSE augmentaient de 13 %. »

La RSE est-elle aussi un facteur d’attractivité à l’embauche des jeunes ?

« C’est un aspect de plus en plus pris en compte. Pour les jeunes issus de l’enseignement supérieur, c’est devenu l’un des critères de choix. Les entreprises peuvent mettre en avant leur politique RSE comme gage de « bonne conduite » vis-à-vis de ces jeunes entrants sur le marché du travail. Je pense qu’à rémunération égale voire légèrement inférieure, un jeune diplômé va plutôt choisir une entreprise capable de lui offrir un cadre de travail relativement sain, avec de « bonnes normes » de comportement. »

L’engagement sociétal est-il seulement l’apanage des grandes entreprises ?

« Non, plus maintenant. Depuis une dizaine d’années, des dirigeants de TPE et de PME s’engagent aussi dans cette transformation. Il y a même souvent, au sein des petites entreprises, une capacité d’innovation et de transformation que l’on ne retrouve pas ailleurs. »

C’est le cas en Normandie ?

« Oui. J’observe des entreprises de toutes tailles, des grandes structures à la start-up, qui s’engagent franchement. Pêle-mêle, des plus grandes aux plus petites, je pense par exemple à Chéreau, Legallais, Hamelin, Biscuiterie de l’Abbaye, Nutriset, Unifer Environnement… Des conciergeries d’entreprises comme La Minut’Rit au Havre ou Facility Serv à Rouen.

Toutes ont construit leur business model autour du développement durable et de la RSE. On a trouve également des entreprises agricoles comme Cara-Meuh !, dans le sud-Manche, qui a revu tout son modèle après une crise laitière.
Pour elles, c’est aussi une histoire de conviction, une manière de choisir leur destin. »

L’impact carbone reste-t-il la priorité majeure des entreprises engagées ?

« L’environnement est une composante forte de la RSE, mais il n’y a pas que ça. Une démarche RSE permet à l’entreprise de s’interroger plus largement sur ses relations sociales en interne, sur les relations d’affaires avec ses partenaires, la façon dont elle conçoit ses produits et services, le lien qu’elle a avec son territoire et sa communauté locale. C’est une vision large, qui intègre aussi les droits fondamentaux de la personne, le handicap, la discrimination. C’est encore un travail sur sa propre gouvernance. Cela implique tous les étages de l’entreprise, de la RH à la production, de la communication au commercial… »

(*) Bruno Morin a exercé les fonctions de Délégué Général du Réseau GRANDDE, avant de devenir Responsable Développement & Coordinateur RSE pour l’agence Seine-Maritime Attractivité.

Parallèlement, il a créé en 2018, ECOVOLUTION, bureau d’études en développement durable, qui accompagne les entreprises et organisations normandes dans le management de la RSE.

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